Sidney Ouvrard & Pierre Turquand : ils vont céder leur entreprise à quatre collaborateurs
Paru dans Gesec Magazine 265 Printemps 2024
Qui sont des dirigeants de l’entreprise Turquand à La Roche-sur-Yon ?
À l’heure où un certain nombre d’adhérents arrivent à l’âge de passer la main, nous avons rencontré les dirigeants de Turquand. Sidney et Pierre y pensent depuis près de dix ans. Après avoir structuré l’entreprise familiale, ils ont misé sur des collaborateurs prometteurs, les ont formés, leur ont donné des responsabilités, les ont fait entrer au capital et s’apprêtent à leur passer les commandes.
Portrait de Sidney Ouvrard
Lire la vidéoNous sommes à La Roche-sur-Yon, au cœur de la Vendée, une terre chargée d’histoire et de fidélité. à quelques kilomètres de là, le Puy-du-Fou met en scène le soulèvement des Vendéens contre les troupes républicaines durant la Révolution. Le fronton de la gare porte encore le nom de Napoléon-Vendée, appellation de la ville sous le Second Empire. C’est en effet à Napoléon Ier que ce bourg du Bas-Poitou doit d’être devenu une cité moderne et la préfecture du département. Aujourd’hui, La Roche-sur-Yon est l’un des pôles économiques de ce territoire réputé pour le dynamisme de son tissu industriel et son faible taux de chômage (5,2 %).
À une quinzaine de kilomètres plus au nord, Le Poiré-sur-Vie accueille de nombreuses PME qui profitent de cet écosystème exceptionnel. Parmi elles, la société Turquand, créée en 1979 par Yves Turquand et dirigée aujourd’hui par son fils Pierre et son gendre Sidney. Malgré une conjoncture économique maussade, l’entreprise va bien, « très bien même », assurent les deux dirigeants. Forte d’une équipe de 130 collaborateurs, elle réalise un chiffre d’affaires annuel de 14 M€ dans les métiers de l’énergie et des fluides. Avec une agence à Montaigu-Vendée et une autre aux Sables-d’Olonne, elle rayonne sur tout le département et au-delà. Si nous nous intéressons à elle, c’est en particulier parce que ses dirigeants ont entamé un processus de transmission de la société à quatre de leurs proches collaborateurs qui devrait aboutir en 2026. Une expérience qui pourrait inspirer certains de nos adhérents qui s’interrogent sur cette étape cruciale pour la pérennité de leur entreprise.
Nous avons dû changer d’échelle, raconte Pierre : en trois ans, nous sommes passés de 30 à 60 salariés pour suivre le rythme !
Sidney et Pierre se connaissent depuis toujours. Ils ont grandi dans le même quartier, fréquenté les mêmes clubs de foot et travaillent dans l’entreprise familiale depuis trente ans. Tous deux ont été embauchés à leur retour du service militaire à la mi-temps des années 90, alors qu’Yves Turquand venait de remporter un énorme marché pour McDonald’s avec un consortium de PME vendéennes conduit par un faiseur de structures métalliques. Le challenge consistait à livrer 200 restaurants en cinq ans. « Nous avons dû changer d’échelle, raconte Pierre : en trois ans, nous sommes passés de 30 à 60 salariés pour suivre le rythme ! » Les deux beaux-frères se répartissent les rôles : à Pierre, qui a une formation technique, le bureau d’études ; à Sidney, doté d’une formation scientifique, la finance, la gestion et l’informatique.
Croissance externe
Pour parfaire leur formation, Yves Turquand les envoie suivre un parcours de chef d’entreprise à la chambre de métiers de La Roche-sur-Yon. À raison de deux jours par semaine pendant dix-huit mois, ils abordent tous les sujets qu’un dirigeant doit maîtriser : management, RH, analyse financière, commercial, marketing… « Avec une activité en croissance, ça a été un peu tendu… », souffle Pierre. En 1998 : Pierre et Sidney acquièrent 50 % du capital de la société. De son côté, Yves continue à pousser les feux. En 2000, il rachète Mate, une entreprise spécialisée dans la maintenance pour les particuliers ; en 2003, il crée une agence à Pouzauges, à l’est du département ; en 2005, il rachète un confrère à Challans, à l’ouest cette fois. Cette phase de croissance externe inquiète Pierre et Sidney : « On risquait de se disperser. » Pour décharger les futurs dirigeants, Yves propose de s’occuper de la structure de Challans. En 2007, le patriarche prend sa retraite et vend le reste de ses parts à la jeune génération. Pierre et Sidney revendent Mate à son responsable, avec qui ils sont restés en bons termes.
Nous en avons profité pour réfléchir à notre politique RH. Nous nous sommes demandé en particulier comment renforcer l’implication de nos collaborateurs.
Ce recentrage se produit au bon moment. En 2008, avec la crise des « subprimes », l’entreprise traverse une mauvaise passe. Les dirigeants sont obligés de licencier une dizaine de collaborateurs. « Nous en avons profité pour réfléchir à notre politique RH, raconte Sidney. Nous nous sommes demandé en particulier comment renforcer l’implication de nos collaborateurs »
Bientôt, ils mettent en place les premiers entretiens individuels. En 2013-2014, ils décident de structurer l’activité en pôles métiers : CVC, froid, SAV, électricité. Dans chaque pôle, ils repèrent un collaborateur-clé et le font monter en compétences en lui faisant suivre une formation de dirigeant analogue à celle qu’ils ont reçue vingt ans plus tôt, « en plus musclée ». En 2017, les « poulains » sont prêts. Ils sont bientôt promus responsables de pôle. En 2019, Pierre et Sidney leur proposent d’entrer au capital à hauteur de 30 %. Finalement, quatre d’entre eux acceptent, accompagnés par Philippe Leroy, le directeur financier. Ce changement de statut des responsables de pôles redouble la motivation de tous : en quatre ans, le chiffre d’affaires grimpe de 8 à 13 M€ et l’effectif est porté de 80 à 130 collaborateurs. « Un vrai coup de booster ! »
L’entreprise Turquand en quelques dates
1979 : Création de l’entreprise par Yves Turquand
1994 : Entrée de Sidney Ouvrard, son gendre
1995 : Entrée de Pierre Turquand, son fils
1998 : Sidney et Pierre rachètent 50% du capital
2007 : Yves leur cède la totalité des parts
2013 : Structuration de l’entreprise
2017 : Nomination de responsables de pôles
2019 : Ouverture de 30% du cpital à cinq collaborateurs
2023 : Effectif de 130 salariés et 14 M€
Pendant cette période, Turquand se lance dans l’automatisme et fusionne ses activités GTC, régulation et automatisme, « indispensables pour nos clients tertiaires et industriels ». L’entreprise se positionne aussi sur la transition énergétique : « Nous avons constitué un groupe de travail pour accompagner tous nos types de clients sur ce sujet. » Présent sur le marché du photovoltaïque depuis 2009, Turquand s’est ainsi mis en ordre de bataille pour répondre à la forte demande du marché. « En tant qu’électricien, on a la technicité, les agréments, les assurances et nous gérons les aides en interne », précise Sidney.
Diversité et agilité
Comment expliquer l’excellente santé de l’entreprise ? Pour Sidney, elle est due à plusieurs facteurs. D’abord, la diversité de ses métiers et de sa clientèle : « Notre activité s’étend du particulier au bâtiment industriel en passant par le tertiaire – bureaux, écoles, collectivités… Cela permet de lisser l’activité quand un secteur traverse un trou d’air. » Ensuite, l’agilité et la souplesse de l’organisation : « Nous créons des passerelles entre les pôles pour ajuster notre force de travail à l’activité, poursuit le dirigeant. En ce moment, par exemple, alors qu’on accuse une baisse des PAC, les pôles Clim et Elec travaillent ensemble pour répondre à la forte demande du photovoltaïque. »
Jusqu’ici, nous n’avons pas eu besoin de prospecter : les appels entrants suffisaient.
Autre facteur de succès, le dynamisme du territoire : « Atlantic, Cougnaud, Sodebo, Fleury-Michon, Bénéteau… La Vendée est le berceau de belles entreprises familiales, qui tirent les PME du département », rappelle Sidney. « Ici, on se connaît tous, renchérit Pierre. Et on partage la volonté de faire bosser les entreprises locales. » Turquand est ainsi chargé de la maintenance CVC des usines d’Atlantic de La Roche-sur-Yon (chauffe-eau, radiateurs et cartes électroniques) : « Nous avons grandi ensemble, résume Sébastien Gautron, responsable du pôle SAV. En ce moment, nous les accompagnons sur la réduction des consommations d’énergie et la décarbonation des process dans le cadre des décrets tertiaires et BACS. » Dernier point fort, l’activité maintenance, qui génère beaucoup de travaux : « Jusqu’ici, nous n’avons pas eu besoin de prospecter : les appels entrants suffisaient. » Les deux dirigeants restent néanmoins vigilants, compte tenu de la crise de la construction actuelle. Ils ont chargé Sébastien de mettre en place une vraie stratégie commerciale. « Nous devons être proactifs, insiste Sidney. Il faut aller chercher de nouveaux clients et exploiter le potentiel de ceux que nous avons déjà. Cela signifie utiliser le marketing pour mieux présenter nos offres et les rendre plus visibles. »
Ce sera la mission du futur directeur commercial, en cours de recrutement. Pas question pour autant de faire de la croissance à tout prix : « On choisit toujours nos chantiers en fonction de leur intérêt et de leur rentabilité. »
L’humain d’abord
Le patronat vendéen est réputé pour son management humaniste et sa proximité avec le terrain. Turquand en est une bonne illustration. « Nous faisons en sorte que tout le monde se sente bien dans l’entreprise : ici, on travaille avec la banane ! », assure Pierre. « Nous favorisons la responsabilisation et l’autonomie tout en consolidant le cadre dans lequel nous évoluons », complète Sidney. Concrètement, cela se traduit par de bonnes conditions de travail (véhicules, outils, sécurité, etc.), la possibilité d’évoluer dans l’entreprise, une participation aux résultats (2 000 euros par salarié en 2023 via la prime Macron). « Nous appliquons la règle que mon père avait instituée : un tiers pour l’investissement, un tiers pour les salariés et un tiers pour consolider les fonds propres », explique Pierre. Turquand a également réservé deux berceaux dans une crèche pour faciliter la vie de ses collaborateurs et offre un pack naissance aux jeunes parents. Autant d’avantages qui permettent de fidéliser ses collaborateurs.
Horizon 2026
« Néanmoins, compte tenu de notre taille, nous sommes en recrutement permanent », nuance Sidney. Pour trouver de nouveaux talents, l’entreprise utilise toutes les pistes disponibles : accueil d’alternants, « une vingtaine dans tous les métiers, du CAP à l’ingénieur » ; embauche d’intérimaires qui ont fait leurs preuves sur les chantiers ; cooptation et, bien sûr, le site emploi dédié aux recrutements du Gesec, qui lui a déjà permis de réaliser sept recrutements. Turquand travaille aussi sa marque employeur, notamment sur les réseaux sociaux (Facebook et LinkedIn). Deux assistantes sont chargées de leur animation avec le soutien d’une agence de communication. « Nous venons de refaire notre logo et notre site internet pour mieux coller avec les codes d’aujourd’hui », précise Sidney.
Nous avons tout de suite vu l’opportunité que cela représentait pour nous de faire partie du Gesec
Membre du Gesec depuis 2019 (coopté par Franck Pajot, gérant de l’entreprise Pajot Chenechaud) , Turquand est un adhérent actif. « Nous avons tout de suite vu l’opportunité que cela représentait pour nous de faire partie d’un tel réseau », souligne Sidney, qui représente l’entreprise aux réunions de zone et aux autres événements. Reste à présent à embarquer les futurs dirigeants dans l’aventure. Depuis l’an dernier, le processus de transmission est sur les rails avec une échéance prévue pour l’automne 2026. La nouvelle équipe sait qu’elle peut compter sur les experts du Gesec pour les accompagner dans cette phase cruciale.
Une transmission soigneusement préparée
Repérés en 2014, formés à la gestion d’entreprise dans la foulée, promus responsables de pôle en 2017, actionnaires de la société depuis 2019, Sébastien, Rémi, David et Samuel se préparent méthodiquement à prendre les manettes de l’entreprise. « Nous nous concertons pour développer des approches communes : stratégie, organisation, management, outils… », explique Sébastien. « On est en train de construire une machine de guerre », lance David.
Le jour du reportage, les futurs dirigeants étaient réunis pour leur point hebdomadaire. Au programme, la gouvernance de l’entreprise. à côté du comité de direction, ils ont créé un comité de pilotage, constitué de leurs bras droits et des deux responsables d’agence. « L’objectif est de nous permettre de sortir de l’opérationnel pour nous consacrer au pilotage et à la stratégie », détaille Rémi.
Prochaine étape, créer un comité consultatif où siégeront Sidney et Pierre ainsi que Philippe, l’actuel directeur financier, qui prendra sa retraite en même temps qu’eux. Le compte à rebours a commencé depuis juillet 2023 : plusieurs étapes jalonnent la transmission de l’entreprise qui se fera, si tout va bien, en octobre 2026.
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