Marchés de travaux : quelles solutions face à la hausse du prix des matières premières ?
Paru dans Gesec Magazine 255
Clauses de variation de prix, négociation l’indemnités, révision des délais d’exécution et des pénalités de retard : face aux pénuries d’approvisionnement et aux hausses de prix qui en découlent, vos entreprises ne sont pas forcément démunies.
De nombreux secteurs économiques, dont celui du bâtiment, sont touchés depuis le début de l’année par des pénuries d’approvisionnement des matériaux. Résultat, les délais de livraison s’allongent et les prix des matières premières s’envolent. Face à ces difficultés, vos entreprises peuvent faire application de dispositions intégrées dans leurs marchés ou prévues par la loi. Tour d’horizon des différentes possibilités qui s’offrent à vous dans le cadre de marchés publics ou privés.
Faire face à l’augmentation du prix des matériaux
Face à des hausses brutales de prix, la première solution consiste à faire application des clauses de variation de prix, si le marché en prévoit (révision ou actualisation, voir encadré ci-dessous). En l’absence d’une telle clause, le prix ne pourra pas être modifié unilatéralement.
La seconde solution qui s’offre aux entreprises titulaires d’un marché de travaux, consiste à engager une discussion avec le maître d’ouvrage en invoquant la « théorie de l’imprévision ». Précisons qu’elle peut être complémentaire à la première solution, dans l’hypothèse où la clause de variation de prix n’absorberait pas la hausse du prix des matières premières.
Marché public
Pour que l’imprévision soit caractérisée, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- Un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat.
- Un changement rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie.
- La partie concernée ne doit pas avoir accepté d’en assumer le risque.
Lorsque ces conditions sont réunies, l’article L6 du Code de la commande publique précise que le titulaire doit poursuivre l’exécution des prestations mais a droit à une indemnité.
Le titulaire d’un marché public peut également solliciter une modification du marché. En effet, les bouleversements de l’équilibre économique du contrat peuvent justifier la signature d’un avenant sur le fondement de l’article R.2194-5 du Code de la commande publique afin de modifier le périmètre des prestations ou adapter les conditions d’exécution du marché. Ces modifications ne sont possibles que si elles sont indispensables pour faire face aux circonstances imprévues et permettre la poursuite de l’exécution du contrat.
Dans une fiche technique du 1er juin 2021 destinée aux acheteurs publics, la Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie précise que le titulaire du marché peut solliciter une modification du contrat ou une indemnité sur le fondement de la théorie de l’imprévision si les conditions précitées sont réunies. Les entreprises faisant face à des pertes financières du fait de cette crise des matériaux sont donc invitées à actionner ces mécanismes. Dans le cadre d’une demande indemnitaire, elles veilleront à établir que la preuve d’achat des matériaux concernés était bien postérieure à la période durant laquelle le prix de ces derniers a augmenté de façon imprévisible.
Marché privé
Pour que l’imprévision soit caractérisée, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- L’événement doit être extérieur aux parties (doit être étranger à la volonté des parties).
- L’événement doit être imprévisible au moment de la signature du marché.
- L’événement doit bouleverser temporairement l’équilibre du contrat.
Lorsque ces conditions sont réunies, l’article 1195 du Code civil précise que le titulaire du marché peut demander une renégociation du contrat (à noter qu’il doit poursuivre l’exécution du marché durant la renégociation). Cette disposition est reprise à l’article 9.2 de la norme NFP03-001, applicable lorsqu’elle est citée parmi les pièces contractuelles du marché.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. Avant d’entamer des négociations sur ce fondement, les entreprises veilleront à ce qu’aucune clause de leur marché n’exclut l’application de l’article 1195 du Code civil.
Pour leurs futurs marchés, les entreprises devront s’assurer que leurs marchés contiennent a minima une clause de variation de prix.
Faire face aux retards d’approvisionnement
Marché public
La DAJ du ministère de l’Économie, précise, dans la fiche du 1er juin 2021 précitée, que les acheteurs publics ont toujours la faculté, en cours d’exécution du marché, d’aménager les délais d’exécution (suspension ou prolongation) et de renoncer à l’application des pénalités de retard.
Elle précise également que la non-application des pénalités de retard et le report des délais d’exécution s’imposent à l’acheteur lorsque les circonstances peuvent être qualifiées de cas de force majeure, étant rappelé que la force majeure s’entend d’un événement extérieur, imprévisible et irrésistible et que ces conditions ne peuvent s’apprécier qu’au cas par cas.
Pour le cas spécifique des marchés publics passé par l’État, une circulaire du Premier Ministre, publiée le 16 juillet 2021, demande aux maîtres d’ouvrage de :
- Aménager les délais d’exécution prévus par le contrat lorsque la pénurie de matières premières met le titulaire dans l’impossibilité de les respecter. Pour cela, le titulaire du marché doit démontrer qu’il n’est pas en mesure de respecter certains délais fixés ou que l’exécution des prestations encadrées par ces délais entraînerait pour lui un surcoût manifestement excessif.
- Ne pas appliquer les sanctions contractuelles lorsque les retards de livraison ou d’exécution sont liés aux envolées des prix des matières premières ou à des pénuries d’approvisionnement des entreprises.
Marché privé
Face à l’impossibilité de se fournir en matériaux, les entreprises pourraient invoquer la force majeure prévue à l’article 1218 du Code civil afin d’obtenir la suspension du marché, voire la résiliation.
Quelle différence entre révision et actualisation du prix ?
L’actualisation est l’opération par laquelle, en application d’une clause insérée au marché, les parties procèdent à une réévaluation du ou des prix convenus pour tenir compte des variations économiques survenues, et ce avant même le démarrage des travaux. L’actualisation n’intervient donc qu’une seule fois. Généralement, elle n’est mise en œuvre que si un délai supérieur à trois mois s’écoule entre la date à laquelle le candidat a fixé son prix dans l’offre et la date de commencement effectif des travaux.
La révision est l’opération par laquelle les parties, en application d’une clause insérée au marché, procèdent à une nouvelle détermination du ou des prix convenus pour tenir compte des variations économiques survenues au cours de l’exécution des travaux. La révision donne donc lieu à un réajustement continu du prix tout au long de l’exécution du marché.
Vigilance dans l’établissement des devis
Les entreprises devront être particulièrement vigilantes dans la rédaction de leur devis en ce qui concerne le chiffrage, les délais d’intervention et la durée de validité de leur devis. S’agissant de la durée de validité du devis, il est fortement conseillé de prévoir une durée de validité courte (15 jours à un mois), afin que l’entreprise ait le choix, une fois le délai écoulé, de maintenir son offre, la retirer ou la réévaluer. En outre, il est fortement conseillé d’intégrer à vos devis ou CGV une clause de révision de prix.
Vous aimerez aussi