Éclairage Ressources Humaines

Recrutement, l’expérience ne fait pas tout

Rédigé par Rémi Voirin,

Paru dans Recrutement, l'expérience ne fait pas tout

Rédigé par Yann YAMBA, Psychologue du travail & Conseil RH
Paru dans le Gesec Magazine n°253 – Printemps 2021

Huit ou dix années d’expérience dans un poste similaire sont-elles une garantie de succès d’un recrutement ? Rien n’est moins sûr, disent les études scientifiques. Miser sur le potentiel d’un candidat serait nettement plus pertinent, y compris pour des postes complexes.

Pénurie de candidats, inadéquation des profils : comme d’autres métiers du bâtiment, le secteur du génie climatique et électrique est confronté à des difficultés de recrutement. Comment réagir face à cette réalité ? On peut se plaindre du manque de vocations, de motivation ou de formation des jeunes. Ou bien remettre en question ses méthodes de recrutement. Par exemple, en arrêtant de ne retenir que les CV de candidats présentant une longue expérience dans un poste similaire. Cette manière de faire est peut-être rassurante, mais elle risque d’éliminer des candidats qui pourraient rapidement monter en compétences et donner pleine satisfaction. C’est notamment le cas des personnes en reconversion professionnelle (lire le témoignage page suivante).

Comment évaluer la pertinence des méthodes de sélection utilisées par les entreprises ? Les chercheurs en psychologie du personnel tentent de répondre à cette question depuis des décennies. Pour faire le point sur le sujet, Frank L. Schmidt, professeur de psychologie émérite de l’Université de l’Iowa, a publié en 2016 une méta-analyse portant sur cent années de recherches. Cette étude a permis de comparer l’efficacité d’une trentaine de méthodes au travers d’un indicateur appelé « validité prédictive » (lire l’encadré).

Que montre la méta-analyse de Schmidt (tableau 1) ? Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la sélection par le nombre d’années d’expérience professionnelle sur un poste similaire est une méthode de recrutement peu fiable : avec un coefficient de 0.16, sa validité prédictive est très insuffisante. À l’inverse, avec 0.65, l’évaluation des aptitudes cognitives générales (GMA pour General Mental Ability : intelligence générale incluant les capacités de raisonnement, de résolution de problèmes et d’apprentissage d’une tâche) est une méthode très fiable. Quant à la sélection par l’âge, la graphologie ou le nombre d’années d’études, elles sont clairement inopérantes.

Quelle leçon tirer concrètement de ce classement ? Il est clair qu’il vaut mieux sélectionner un candidat sur son potentiel que sur son nombre d’années d’expérience. En outre, les aptitudes cognitives générales étant un bon prédicteur du potentiel d’apprentissage, le candidat ne devrait pas avoir de difficultés à intégrer de nouvelles connaissances professionnelles une fois en poste. D’autres analyses montrent que ce postulat reste vrai quel que soit le type de métier (tableau 2) et le niveau de complexité du métier (tableau 3).

L’expérience n’aurait-elle donc aucune valeur ? Certainement pas. Elle mérite seulement d’être relativisée. En effet, d’autres études montrent que la courbe de performance en poste augmente de façon linéaire et en corrélation avec l’expérience. Mais, à partir de cinq ans, cette courbe atteint un plateau, et l’accumulation d’années d’expérience supplémentaire n’augmente plus significativement le rendement (Schmidt, Hunter et Outerbridge, 1986). Autrement dit, réclamer huit ou dix années d’expérience similaire à un candidat présente peu d’intérêt car c’est dans les cinq premières années d’expérience sur un poste que le nécessaire le plus déterminant s’acquiert.

En conclusion, l’idée que l’expérience prédit forcément la réussite au travail est à considérer avec prudence. Et en matière de recrutement, la meilleure façon d’augmenter la capacité à prédire la réussite en poste et donc de réduire les risques d’erreur dans les prises de décisions consiste surtout à combiner les méthodes de sélection.

Qu’est ce que la validité prédictive d’une méthode de sélection ?

Dans un processus de recrutement, la validité prédictive permet de mesurer la capacité d’une méthode à pronostiquer la réussite professionnelle future des candidats quand ils seront en poste. Elle mesure le lien entre un prédicteur (la méthode de sélection, par exemple) et un critère à évaluer (la future réussite en poste, par exemple).

La corrélation entre les deux termes est mesurée via un coefficient qui varie de -1 à +1 : plus la corrélation se rapproche de 1 plus la méthode est pertinente pour prédire la réussite en poste. Aucune n’étant fiable à 100%, on considère que la validité prédictive d’une méthode de sélection est recevable dès lors qu’elle dépasse 0.3. Les meilleures obtiennent un coefficient aux alentours de 0.7.

TABLEAU 1 :

Validité opérationnelle pour prédire la performance professionnelle de quelques méthodes de sélection du personnel. (extrait)

TABLEAU 2 :

Validité de critère de la GMA par rapport à la performance professionnelle et à l’apprentissage dans différentes professions en Europe. (extrait)

TABLEAU 3 :

Validité de critère de la GMA par rapport à la performance professionnelle et à l’apprentissage pour trois niveaux de complexité en Europe.

Nous misons sur le potentiel des candidats, même s’ils ne sont pas du métier. »

Notre entreprise compte une trentaine de collaborateurs. Face à la pénurie de compétences sur le marché, nous misons avant tout sur l’état d’esprit et le potentiel des candidats, même s’ils ne sont pas du métier. Dans nos équipes, nous avons ainsi recruté un ingénieur en microbiologie, un boucher,
un moniteur d’auto-école, un gardien d’immeuble. En ce moment, nous avons même notre ex-assureur en contrat de professionnalisation d’installateur thermique et sanitaire ! Autant de personnes qui ont choisi de se réorienter. Estimer que former la compétence de demain est une perte de temps, c’est se tirer une balle dans le pied.

Guénaële CHAUVEL, Dirigeante, et Audrey JACQUETIN, Responsable RH et QSE. Blanchard et Blazquez, Rillieux-la-Pape (Rhône)


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